Psychanalyste, art et politique article - De la parole performative - Think tank de la Fondation Mercure

Les fondations Mercure ont pour vocation de développer des ateliers de réflexion et de discussion autour d’une thématique dont l’énonciation s’avère féconde. Ici, le think tank proposé tourne autour de trois pôles : Psychanalyse, Art et Politique. Tant dans la parole de l’analysant que de l’analyste, ou encore dans le geste de l’artiste ou encore dans la parole du politique, dire c’est faire : une parole juste dans la cure a des effets de guérison dans le corps, une parole juste dans l’hémicycle de parlementaires peut provoquer des changements dans la société, le geste juste d’un artiste change notre manière de percevoir le monde. Le texte ci-dessous propose de balayer le terrain avant toute investigation : inutile de revenir sur de vieilles polémiques stériles, il s’agit de se pencher sur ce que c’est « qu’une parole juste », tant chez l’artiste, le politique ou le psychanalyste pour s’autoriser, peut-être, de se donner les moyens de changer le monde !

Pour faire partie de ce think tank et contribuer à avancer dans la recherche vous serez invités en temps utiles (sans doute en automne 2023) à participer dans un premier temps à un évènement majeur où artistes, politiciens de renom de différents bords politiques et démocratiques et psychanalystes répondent à cette question : quand est-ce que ma parole, dans mon métier très singulier, a fait « bouger les choses ». En aval de cet évènement, nous lancerons un séminaire qui se tiendra mensuellement pour y travailler de manière approfondie avec ceux, spécialistes ou non, que la question passionne.

Indépendamment de ce que peuvent seriner ses détracteurs, en parlant de son Livre noir (C. Meyer) ou encore du Crépuscule d’une idole (Onfray), la psychanalyse atteindra bien son siècle et demi d’existence et la naissance de cette méthode, illustrée par l’injonction d’Anna O. à l’adresse de Freud : « ne me touchez pas et écoutez-moi !», arrêtant par ces mots l’auscultation du médecin et l’ouverture d’un espace de parole, oui, cette méthode, disais-je, demeure et demeurera toujours féconde. Dans le sillage de cet exercice très particulier sont nés nombre de sciences humaines, de la psychologie moderne à la sociologie, de Yung, Reich, Ferenczi, Dolto, Piaget, Rogers, Chomsky, Lacan à plus récemment Didier-Weil ou Kristeva, la psychanalyse est bien plus qu’un fait historique, mais un moment de l’histoire qui a drainé derrière elle un buissonnement culturel de recherches humaines. Ce moment est finalement tout simple : le temps de l’écoute et de la parole qui a pour effet secondaire la guérison. C’est un temps dont on ne peut faire l’économie sous peine d’un arrêt de mort.

Contrairement aux régimes totalitaires qui brident la culture d’un pays, spolient les richesses et emprisonnent les artistes, ne fonctionnant que sur le mode de la censure, nous devons montrer que tout au contraire c’est du travail de la culture concomitante à la liberté d’expression que nous pouvons éviter le pire, à savoir la guerre totale, l’anéantissement. La culture au travail (l’Arbeitskultur) comme seul contrepoison à la guerre écrivait Freud à Einstein est la nécessaire mise en œuvre des artistes de ce monde pour le sauver, ce monde. Le Royaume des créateurs doit être maintenu ouvert, encouragé, subsidié, s’il y a du profit à faire ce n’est pas tant dans les stocks exchanges mais bien plutôt dans la surabondance de l’inconscient humain qui n’a de cesse que de nous surprendre dans ses productions, nous offrant, dans l’après-coup, des solutions inédites et imprévisibles aux impasses dans lesquelles nous nous sommes fourvoyés. La culture humaine, pour autant qu’elle soit ouverte et soutenue, est finalement le seul espace où l’on peut respirer ; la barrer, l’obturer, c’est tout simplement s’asphyxier.

Et le politique ? Je ne parle pas ici du calcul sordide où l’on se marche les uns sur les autres pour gagner un brin de pouvoir, je parle de l’action dans la cité qu’Aristote et Hannah Arendt dans son sillage ont désigné comme la vertu par excellence puisqu’il s’agit, mieux que l’ingénieur ou le concepteur, d’ordonner sa parole à l’action transformatrice. Gouverner, l’un des trois impossibles de Freud – et c’est heureux d’ailleurs ! Car c’est envisager l’action politique comme sempiternellement perfectible ; après tout, le meilleurs des mondes possibles, comme nous le signale l’auteur de 1984, est un enfer – s’articule au domaine de l’inconscient (individuel et/ou collectif, et donc à des questions que soulève la psychanalyse) et se nourrit du meilleurs des productions humaines et donc de la culture.

Il existe une articulation ténue mais nécessaire entre ces trois pôles. Comment y travailler ? Sans privilégier ou réduire l’un des pôles par rapport aux autres… Que peut-on dire politiquement de la cure analytique, en quoi le psychanalyste peut se mettre à l’école du politique ou le politique à l’école de l’artiste, comment trouver des interactions entre ces trois univers sans pour autant réduire l’un par l’autre et maintenir intact leur champ d’action ?

Une chose est sûre, artiste, politicien et psychanalyste sont dans le registre du faire et de la parole, et même plus précisément, de la parole-faire, de la parole performative… Quand un analysant entend la question de l’analyste à l’endroit de ce qu’il a dit, l’inattendu de l’inconscient peut opérer et le corps se transformer, quand un député justifie un amendement dans l’hémicycle, sa parole peut transformer la société entière, quand un artiste sculpte ou peint, il change notre manière de percevoir. Tel est l’objet de notre think tank, les audacieux y sont cordialement invités, en l’occurrence le tout-venant mobilisé qu’il est dans le parler juste.

Jean Noel Philosophe

À propos de Jean Noël

Je suis philosophe (Louvain), j'ai 56 ans, vis à Bruxelles, suis issu d'une mère française et d'un père liègeois. J'ai créé en 1996 les Cafés philo de Belgique. En son temps, j'ai joui d'une réputation locale en lançant des espaces de parole philosophique au bénéfice exclusif des citoyens dans tout Bruxelles (Cercle de la rue Sainte, Halles Saint Gery, Cercle des voyageurs, etc. et à présent au Carpe Diem d'Etterbeek) et en animant à Paris au Café des Phares.