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Que nous dit encore ce roman de Sollers ? Que nous veut cet homme de plus de 85 ans, dont le texte, écrit en 2021, n’est encore que l’antépénultième… Car la pulsion de vie de ce bougre de Philippe est drôlement prolifique, voilà un homme qui dépasse la vitesse de la lumière dans l’écriture : à peine entame-t-on son dernier livre qu’il en sort déjà un nouveau. En fait, je crois que notre héros est habité par Dionysos, il peut très sérieusement prétendre à l’immortalité. Je pense qu’il garde en secret cette ambition : « je ne cherche pas l’espace-temps, c’est lui qui me trouve. Il me fait voir, pour la première fois, un objet que j’ai habituellement sous les yeux, ce stylo par exemple. J’ai entendu mille fois cet air, mais c’est seulement maintenant qu’il me parle, ce loquet de porte que je touche dix fois par jour, se met à vibrer dans sa faïence. Les habitants de l’ancien espace et de l’ancien temps m’apparaissent parqués, comme des somnambules »… Et qu’en est-il donc de Sollers qui prend la courbure de l’espace-temps, afin de ne plus être parqué lui-même ? Quel est son secret ?

Poursuivons l’enquête

Il nous dit beaucoup de choses, mais des choses précises, étonnantes, drôles, gravissimes ; « je gagne du temps en écrivant ce livre, comme vous en gagnez en le lisant. Nous nous sommes trouvés. Enfin un roman où il y a des tas de choses à apprendre ! Ça vous change de la déferlante habituelle psycho-sexo-sociale ! L’auteur mérite donc cet éloge de Confucius : celui qui sait réchauffer l’ancien pour comprendre le nouveau mérite d’être considéré comme un maître » (p.109) .

Nous partons d’un rêve de Laurier associée librement à « Laure y est », associé à la pierre philosophale, associée à un amour de jeunesse… Nous transitons par des maîtres chinois et une relecture de Sun Tsu, nous suivons la courbure du temps, où quelque autre maître échappe à l’écoulement du temps : « devant le vide effrayant du renoncement général, ma mission m’est apparue claire et terrible » : De Gaulle, dont la mission en mai 40 était d’incarner seul la France. Et puis, il y a Hugo. Très belles pages : « les foules l’acclament, et lui, fort habilement, crie « vive la République ! » La République, c’est lui. En 1873, il note : « Que suis-je ? Seul, je ne suis rien. Avec un principe, je suis la civilisation, je suis le progrès, je suis la révolution française, je suis la révolution sociale » (p.87). Sollers parle encore de Monet, Manet, Mallarmé, Renoir. Des anarchistes, qui rompent avec le temps dicté. Qui sont le temps. Et s’inscrivent dans des moments de génie, en peinture, en écriture… Dans le Verbe.

Ah oui… Sollers est Chrétien. Voire papiste. Il fait souvent référence aux textes de Benoît XVI. En fait, il fait souvent écho aux penseurs qu’on ne lit pas et avec lesquels on triche constamment.

Est-ce donc cela la clef, le Verbe ? De l’immortalité ? « Jean vient très vite révéler la clef fondamentale du roman : le Verbe est Dieu, il est au commencement avec Dieu, rien ne s’est fait sans lui, il est la lumière que les ténèbres ne peuvent ni saisir ni comprendre. On ne doit adorer le Verbe qu’en Esprit et en Vérité. Les représentants du vieux Dieu mort et de la vieille littérature sont destitués, nous continuerons à parler et à écrire comme si de rien n’était ». (p.128)

C’est sublime, réjouissant, drôle, extraordinairement riche sans jamais être lourd, en ces temps anxiogènes, déprimants, perturbés par des guerres et des rumeurs de guerre.

Les romans de Sollers échappent à l’espace-temps. Deviendrait-il une légende ?

Jean Noel Philosophe

À propos de Jean Noël

Je suis philosophe (Louvain), j'ai 56 ans, vis à Bruxelles, suis issu d'une mère française et d'un père liègeois. J'ai créé en 1996 les Cafés philo de Belgique. En son temps, j'ai joui d'une réputation locale en lançant des espaces de parole philosophique au bénéfice exclusif des citoyens dans tout Bruxelles (Cercle de la rue Sainte, Halles Saint Gery, Cercle des voyageurs, etc. et à présent au Carpe Diem d'Etterbeek) et en animant à Paris au Café des Phares.