Il faut laisser la colère de Dieu à Dieu

Quand un brûlant sentiment de colère nous saisit étant donné l’injustice dont nous faisons l’objet ou dont une victime ou une communauté de victimes font l’objet, la faille, l’abîme qui nous sépare de ce monde injuste exigerait presque que l’on s’en remette à Dieu, dans un aveu de totale impuissance pour corriger l’humiliation, réparer la blessure. On assimile alors cette impuissance et cette colère qui sourd dans notre ventre à celle de Dieu. Pour reprendre les mots lors du débat entre Ségolène Royal face à Sarkosy, la colère devient une « sainte colère »…

Cependant, on aurait tendance à dire à la candidate à la présidentielle française que cette colère ne lui appartient pas…Et on aurait raison. Parce que si on prend notre colère pour celle de Dieu, de quelle colère s’agit-il ? Ni humaine, ni divine ? Monstrueuse.

Et c’est bien là le chemin que prennent ces gamins extrémistes conduit par ces leaders toxiques à se faire exploser tout emportés qu’ils sont dans «une colère divine » qui les aveugle, qui les place entre ciel et terre, dans un moment psychotique et hallucinatoire (lire pour ce faire le psychanalyste Fethi BENSLAMA : « Le saut Epique, ou le saut dans le basculement dans la Jihad »).

Cette colère terrible, sous-tendue par une blessure narcissique, où l’individu ou la nation sont blessés profondément dans leur identité, pour ne pas dire dans leur existence déniée, pousse l’individu et/ou la nation à la révolte pour affirmer dans la violence son identité et son existence, comme pour contredire l’injustice du bourreau.

Je n’existe pas ? Pan dans ta g… ! La blessure que je t’inflige est la garantie d’une existence qui passe par là et que tu déniais, comme pour te contredire…

Rien de divin là-dedans. Il est un fait que la pauvreté outragée par des mesures gouvernementales en faveur des dominants peut susciter une « grande colère » chez une socialiste comme Ségolène, mais elle n’est pas en droit de passer par Dieu pour la justifier. Et c’est cela qui est terrible, la personne dominée, humiliée par le cortège d’injustices qui lui est fait est tellement faible qu’elle a recours au plus puissant de l’univers pour justifier la colère qui la redresse, à savoir Dieu Lui-même. Dieu, ici, devient l’apanage des faibles, le contrepoids imaginaire à l’aplatissement dont ils font l’objet.

Quand Silas, le personnage principal de mon roman « La Colère de Dieu » fait un tableau extrême de cette colère. Là, sans doute, on est saisi par l’enfer dans lequel les hommes se mettent :

 « Tu vois, Zaïn, la colère, elle est partout ! Regarde cette femme en tailleur : blessée par un mari volage, elle veut se taper tous les mecs de passage. Elle va dans des salons sadomasos, parce qu’elle a des comptes à régler. L’homme, là : le grand black, un enfant soldat… Il a déjà tué. Pour lui, la pulsion, ça peut aller jusqu’à étrangler. Pas d’interdit pour la bête ! Et là, le gars en costume trois-pièces qui sort du concessionnaire Porsche : un mec fou de colère qui prétend acheter le monde, mais en fait, c’est un enfant humilié par un père brutal. Et là, cette pauvre femme mélancolique qui retourne la colère contre elle, qui se bouffe les tripes en développant de l’urticaire. La colère circule partout. Elle mobilise, elle est mordante, elle est vorace. Les hommes n’évoluent qu’à coups de pelle dans la gueule, un peu comme des chercheurs d’or qui se volent mutuellement les filons et se massacrent. La colère gronde entre les hommes. Chaque corps en est pétri, chaque corps se tord d’une colère noire. Et là, le barbu qui tente de détourner les jeunes imberbes de leur innocence en les incitant à se tuer pour un dieu sadique : un pauvre titi, un gamin que les flics ont contrôlé vingt fois par jour quand il était ado et qui sait mieux que personne à quel point il n’est pas le bienvenu, qu’il n’est personne, qu’on ne l’aime pas. Alors il est en colère, il a la haine. Il aime la haine ; ça lui redresse le torse, lui durcit le visage. Il devient d’airain, il se veut bras vengeur, il va nous écharper. Il ne tremblera pas quand il coupera la tête des mécréants. Parce qu’il est décidé ! Et ce grand flamand au crâne rasé ? Un pauvre gosse, nul à l’école, avec une famille de toxicos. Lui aussi, quand il entend le mot « führer », il se dresse comme un i. C’est tellement bon de dresser le bras à la voix de son maître et de casser de l’Arabe. Le problème, en sortant avec toi aujourd’hui, c’est que je ne vois que ça : pas de pitié pour l’Homo sapiens ! Il a décidé de se réduire en cendres, de se minéraliser. La seule voie qui compte, c’est d’être le plus gros, le plus fort, celui dont la haine a toutes les audaces et toutes les cruautés. Parce que le sommet de notre humanité ne peut être que ce monstre de méchanceté. La colère est la seule mesure ». (p.225)

Nous comprenons que la colère est strictement humaine, fruit empoisonné de la souffrance. Et l’on hurle à Dieu, … Mais Dieu ne répond pas.

Et si on commençait par s’aimer les uns les autres comme Lui nous aurait aimé ? Vous l’avez compris, cette formule christique est mise au conditionnel, sous-tendue qu’elle est par le nécessaire agnosticisme, afin de ne pas remplir trop vite le trou que Dieu en se retirant, nous a laissé… Jusqu’à nous donner le pouvoir de nier son existence.

Oui, nécessaire agnosticisme, à tout le moins pour laisser la colère de Dieu à Dieu plutôt que de diviniser un comportement strictement anthropologique qui nous investit, les uns les autres, à faire autre chose, comme de corriger l’injustice… Mais l’extermination est possible aussi. Tout est possible. Et c’est ça qui donne le vertige, la responsabilité des humains, les uns par rapport aux autres, sans prendre Dieu en otage, qui n’a rien demandé… D’autant qu’il n’existe peut-être pas

S’aimer, c’est d’abord se soigner,  pour être apte à aimer, justement. Sinon, on emporte autrui dans une colère qui ne le regarde en rien. Et aimer, on en serait incapable.

Jean Noel Philosophe

À propos de Jean Noël

Je suis philosophe (Louvain), j'ai 56 ans, vis à Bruxelles, suis issu d'une mère française et d'un père liègeois. J'ai créé en 1996 les Cafés philo de Belgique. En son temps, j'ai joui d'une réputation locale en lançant des espaces de parole philosophique au bénéfice exclusif des citoyens dans tout Bruxelles (Cercle de la rue Sainte, Halles Saint Gery, Cercle des voyageurs, etc. et à présent au Carpe Diem d'Etterbeek) et en animant à Paris au Café des Phares.