La vision qu’à Nietzsche du réel est le très héraclitéen fleuve indomptable, et celle de la réalité humaine, une toile d’araignée d’eau tissée par dessus le fleuve, qui « tient », d’une certaine manière, au gré de l’habileté des créateurs tissant leur toile par-delà les secousses tempétueuses d’un courant parfois imprévisible. Aussi, l’homme en tout temps, constate éberlué que ce n’est jamais fini. Il voudrait se reposer, se réfugier, « se planquer », mais non, ce n’est jamais fini. Sa pulsion de vie l’incite à prolonger le voyage et de mettre à profit tout son génie pour créer et offrir un horizon aux générations futures, sa pulsion de vie lance lointainement la flèche de son désir dans le pays de ses petits enfants, la pulsion de mort l’incite à tout détruire pour se laisser couler dans le fleuve, à laisser libre cours à sa colère monstrueuse pour se tuer en tuant les autres, ne souffrant de subir l’horrible hasard, les embuches contrariantes, l’idée, finalement, oui, que ce n’est jamais fini et qu’il veut mettre un terme à tout cela.

Nous avons vaincu le nazisme, mais voilà qu’il revient par la fenêtre ou la cheminée, sous les formes monstrueuses de l’extrême droite ou sous la forme d’une guerre d’une violence démentielle orchestrée par la Russie. Là, l’extermination définitive est possible, nous pouvons nous dissoudre dans le fleuve. La science croyait en avoir fini avec les pandémies, voilà qu’elle revient par la Chine et tue plusieurs millions de personnes… La science croyait donner le tempo définitif dans la gestion de la survie des communautés humaines, mais l’hyper consommation des ressources naturelles par son exploitation technologique pollue et détruit notre univers… Et tout cela est soutenu et relancé non par le désir (qui s’y confond à s’y méprendre), mais l’avidité, avidité individualiste où chaque atome du système ne fonctionne que pour lui-même à vouloir maximiser son profit pour un minimum de coût, disposer de suffisamment de moyen financier pour se préserver de l’autre atome individuel avec lequel il ne veut absolument pas frayer parce qu’il bouffe une partie du gâteau et menace.

Silas, le personnage principal de « la colère de Dieu, » est jeté dans ce monde, jeté parce qu’il n’a plus ses parents depuis l’âge de quatorze ans et que l’univers chaotique lui est imposé, le fleuve du réel innommable ayant secoué tous ses repères affectifs… Pour survivre, il développe un talent: il entend le fleuve, comme dit l’un de ses amis, il perçoit le « off » du « off », c’est-à-dire qu’il perçoit non seulement ce qu’on lui dérobe comme information mais ce qui se dérobe à toute information. Médium. Lecteur de tarot hors pair. Sorcier puissant. Silas, jeune adulte, ne prend pas encore la mesure de son pouvoir, parce que celui-ci est terrible et sans concession, parce qu’il en a peur. Va-t-il s’autoriser à se laisser conduire par ses intuitions aussi précises qu’un laser? Et où cela va-t-il le mener? Comment faire la part des choses entre la colère propre à la pulsion de mort et celle de l’être qui sous-tend toute chose?

Le fleuve, ici, passe par Bruxelles… puis s’égare à Londres ou Ouarzazate… La colère de Dieu est une traversée vertigineuse où profondément, tout, absolument tout est remis en question.

Pour celui qui veut s’égarer dans cette aventure littéraire de près de quatre cent pages, dans ce roman total, addictif et déjà applaudi par les premiers critiques, restez concentré dans la lecture tel Silas écarquille les yeux et tend l’oreille à l’inouï.

La colère de Dieu

la colère de dieu jean noel couverture livre

Étrange titre, peut-être trop présomptueux pour un polar « métaphysique » ?

Qu’on ne s’y trompe pas, je fais la part des choses, si l’on parle de Dieu, on rate toujours quelque chose, c’est encore affaire humaine.

Quand on parle de Dieu, finalement, et en l’occurrence de sa colère, on ne peut se référer qu’aux Textes révélés qui nous traversent (que l’on soit athée ou pas) depuis 2000 ans pour les Chrétiens, depuis 1400 ans pour les Musulmans... Et on voyage, à la manière de ce philosophe quelque peu cynique et déjanté, German  Sokolsky entre Bruxelles, Londres et Ouarzazate... Ou encore comme ce héros tragique, médium très puissant, Silas, au travers des 22 lames majeures du tarot de Marseille ou encore comme ce jésuite alcoolique au passé libertin, Jorge, qui interroge la tradition qui l’habite depuis le début de son sacerdoce, qui décortique, questionne et critique férocement l’Eglise catholique et apostolique dont il se dit encore le représentant.

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Format : 15,2 x 22,9 cm
Pages : 358 pages
Parution : décembre 2021
ISBN : 978-2-35523-557-3

Jean Noel Philosophe

À propos de Jean Noël

Je suis philosophe (Louvain), j'ai 56 ans, vis à Bruxelles, suis issu d'une mère française et d'un père liègeois. J'ai créé en 1996 les Cafés philo de Belgique. En son temps, j'ai joui d'une réputation locale en lançant des espaces de parole philosophique au bénéfice exclusif des citoyens dans tout Bruxelles (Cercle de la rue Sainte, Halles Saint Gery, Cercle des voyageurs, etc. et à présent au Carpe Diem d'Etterbeek) et en animant à Paris au Café des Phares.