« CEnTaURE » (Une vie morcelée) de Valéry Meynadier aux éditions Chèvrefeuille étoilée
Il y a des textes qui sont terribles mais qui se lisent comme du petit lait pour celles ou ceux qui n’ont pas froid aux yeux… Quand j’ai lu les critiques sur Babelio, hormis l’un ou l’autre commentaire avantageux, je me dis que les lecteurs, de nos jours, sont tout de même de petites natures.
Il ne faut pas être une petite nature pour lire Meynadier, parce que c’est à cette condition-là, et uniquement à cette condition que l’on entend la petite musique mozartienne, le rythme joyeux, oui, je dis bien joyeux, d’une plume qui n’a pas non plus peur d’elle-même. Valéry sauve le monde dans toute son horreur par les mots et l’écriture. C’est bluffant ! Et même les formules horrifiantes qui viennent çà et là en sont presque drôles tellement elles relèvent d’une réelle virtuosité d’écrivaine :
“Elle a du psoriasis dans les cheveux et parfois, ça
Gratte, alors elle s’enduit d’une potion puante, à base
De punaises fornicatrices, de cyprine et de grappes de
Yeux de putes…”
Ou encore:
“Pense aussi aux dés, les dés truqués sont des dés
pipés. Vrai aussi que faire une pipe vient de là, mieux
vaut une fellation qu’une sodomie, la pipe, on
recrache, c’est notre façon à nous de berner le client,
de le piper, tu vois…”
Faut dire que le sujet du roman n’est pas vraiment drôle : Anne-Marie (voix principale), violée dans une tournante particulièrement cruelle, n’est pas entendue par son frère. Le voilà bien démuni parce qu’il voudrait la sauver d’elle-même. On ne peut pas la sauver d’elle-même, car ce corps mortellement blessé c’est elle et elle ne peut en échapper (bien qu’elle le voudrait, d’ailleurs). Ce corps, finalement, fait honte à Matthieu, le frère (deuxième voix) qui a honte d’être un homme sachant ce que d’autres hommes de son sexe ont pu faire à sa sœur.
Il faut alors faire ce travail d’écriture, comme un patient tisserand recoud des capitons dans un tissu déchiré. C’est de la béance de la plaie qu’elle pourra se recoudre, et se recoudre en l’occurrence par un texte inouï.
Il s’agit aussi de prostitution, de détours fantasmés du corps dans la gangue des corps consommés, posés là comme des objets, dont la jouissance chemine au bord du trou et donc de l’horreur. Mais çà et là, il y a des alliances entre filles et de l’évitement des monstres… Parfois une confrontation brutale avec l’Hyène, la maquerelle :
“Elle plisse des yeux pour mieux nous voir et c’est
comme si avec elle, le noir dompté du bureau s’éteignait.
Il n’y avait plus ni lumière ni obscurité mais
autre chose. Ses pupilles rétrécies par la fureur
étaient un puits où je tombais. Centaure et moi, nous
tombions, je le jure.
– Comprendre, dis-je, sautant par-dessus le noir de
la pièce.
Un pocheuil te poussait sous l’œil. Les couleurs
pétillaient sous ta peau. Dans ma bouche : le goût de
ton sang.
– Il n’y a rien à comprendre, les choses sont comme elles sont, répond la Hyène.
– Faux, dis-je, avec cran”
Valéry Meynadier nous emmène en enfer, lecteur accrochez-vous ! Mais elle est première de cordée au-dessus de la faille.
Artaud n’est pas loin.
En réalité, c’est un dialogue entre deux voix qui se trame, entre la femme et l’homme, entre le frère et la sœur, la sœur intimant d’entendre ce qu’elle a à dire et que son frère l’entende jusque dans sa chair d’humain mâle… plutôt que de rester sourd à ce corps mutilé pour se dérober honteusement au fait massif : le viol. C’est un dialogue rétabli à l’endroit d’un non-dit séculaire, non-dit qui voudrait que la violence faite aux femmes soit banalisée dans un discours qui exclut, justement, tout dialogue.
Notre écrivaine pointe du doigt l’infamie.
Absolument vertigineux.
Valéry Meynadier nous offre cette chance inouïe d’un début de chemin de rédemption pour l’homme autant que pour la femme.
Par la poésie.
Et son génie.
Valéry Meynadier n’en est pas à son coup d’essai. Ici, c’est son second roman après “Une mère toute bue” et avant “Divin danger” et “La Morsure de l’ange”. Mais figurez-vous que son texte est épuisé en librairie! Il faudra qu’on m’explique, comment se fait-il qu’on nous inonde de la merde à flux tendu dans les librairies et que les perles comme celles de notre auteure se perdent… Mademoiselle Meynadier fait partie, selon moi, de celles et ceux qui font “avancer le schmilblick” de notre insoutenable humanité… Mais le commerce fait qu’on ne les repère plus, que les graines sont semées dans une terre trop lourde de fatras divers… Il faudra tout de même que je demande à l’auteur si elle a du stock de son Centaure! Quitte ultérieurement à l’imprimer chez un autre éditeur… Nous n’en resterons pas là.

Jean Noël
Je n’ai jamais lu de critique aussi juste et profonde de ce livre. Si vous aviez ou lire et donc écrire cette critique au moment de la sortie du livre, nous aurions pu mieux le faire connaître. Ce qui n’a pas été le cas. Peu de gens lisent comme vous. Pas assez de ventes pour le réimprimer. Nous pouvons par contre le numériser et je vais tenter de le faire cet automne. Merci de cette lecture.